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Putain, 3 ans

moi

Paris (Juin 2011)

Il s'en est passé, des choses, depuis la dernière note. J'ai passé mon bac, et suis parti en prépa, loin de chez moi. Mais commençons par le commencement. Tout cela paraît assez loin, maintenant...

 

Après ma Gamma knife, j'ai continué la rééducation, et les cours. J'ai assez vite abandonné le fauteuil roulant, qu'on a rendu fin décembre 2008 (6 mois après l'accident). J'avais toujours trois séances de kiné par semaine, et deux séances d'ergo (je crois).

On se bouge...

Cet hiver-là, j'ai refait du ski. J'habite à côté d'une station de ski, et j'avais, avant, un très bon niveau un ski, j'ai donc pu trouver les compensations nécessaires pour l'équilibre, et pour arriver à tourner, alors que je ne contrôlais pas la rotation de mon pied. C'était assez compliqué, un peu étrange, mais ça marchait. Petit à petit, mon ski s'est amélioré, et accéléré. Je tombais moins souvent, même si je n'arrivais pas à mettre de poids sur la jambe droite.

Au printemps, les rues ont dégelé, et j'ai pu aller au cabinet de kiné à pied. La neige a fondu, l'air s'est réchauffé, les bourgeons sont apparus.

J'ai réessayé le tennis. A l'époque, c'était encore difficile, j'avais du mal à tenir la raquette droite, avec mon poignet faible. Je manquais beaucoup de balles en coup droit, un peu moins en revers - la main gauche aidant beaucoup. Et je ne bougeais pas beaucoup sur le court. Mais bon, c'était toujours ça.

Un golf avait ouvert près de chez moi. J'ai donc appris le golf, qui avait l'avantage de faire travailler la main droite, tout en laissant la partie "fine" de direction à la main gauche. Par contre, ma prise manquant un peu de force, j'ai eu besoin de deux gants - pour en finir avec les grosses irritations de la main droite.

J'allais nager une fois par semaine. Mon crawl s'est amélioré, j'ai appris le papillon. La maîtresse nageuse me faisait porter sur quelques longueurs des plaquettes pour forcer ma main à s'ouvrir - mais elles s'enlevaient souvent.

Et puis, je marchais. J'ai même fait, en mai, une jolie randonnée de 8 km, à la découvert du dolmen, au dessus du lac de Serre-Ponçon. Bon, à la base, on croyait que la balade serait plus courte. C'était fatiguant, mais c'était bien quand même...

Bref, on faisait ce qu'on pouvait pour faire bouger cet hémicorps droit, pour que ça continue à progresser.

Angoisses et effets secondaires

2 à 5% de chances de récidive. C'était ce qu'avait dit le médecin, tant que l'angiome ne serait pas cotérisé. Ce n'était rien, et pourtant... Combien de fois je me suis réveillé, la nuit, avec des sensations un peu étranges, aggravées par l'attention que j'y portais. Vérifier que l'iris se contractait bien à la lumière, tirer la langue bien droite. Prendre la teinture mère prescrite par notre homéopathe, pour arriver à se rendormir.

La première fois, un week-end à la mer, probablement à cause du changement d'altitude, j'étais parti en ambulance, à l'hôpital de Toulon. En ville, l'hélicoptère ne peut pas aterrir, c'est en ambulance qu'on vous emporte. Beaucoup moins confortable.

Angoisses inutiles et pourtant irrépressibles. Non, je ne veux pas tout recommencer.

 

L'IRM à six mois montra que tout était normal. En réalité, c'était pas la peine d'attendre 2 heures pour consulter le médecin de la Gamma knife. La visite n'était nécessaire qu'après le dernier IRM. Enfin bon, c'était toujours bien d'entendre ça...

 

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Travail d'ergothérapie : Mécano (Printemps 2009)

Mais un peu plus tard, j'ai eu le bonheur de goûter aux effets secondaires de la Gamma knife. L'interne japonais qui nous avait parlé avant l'intervention avait évoqué la possibilité d'un "petit kyste", sans importance... Sauf qu'irradier le cerveau provoque quand même une réaction du corps - probablement amplifiée par ma jeunesse et l'importance de l'intervention. Et cette réaction, ce fut un oedème autour de l'angiome.

Cet oedème n'était ni grave, ni dangereux. Simplement, il a mis le bazar dans une zone qui était déjà un peu abîmée...

Un jour, fin mai, j'ai senti des fourmillements dans la jambe. Ma sensibilité était toujours déficiente, mais ce jour-là, j'ai eu vraiment l'impression de refaire une hémorragie cérébrale. Et les sensations ne s'arrêtaient pas. C'était plus sérieux que mes angoisses habituelles.

L'hélicoptère a aterri dans le champ devant la maison, et m'a emmené à Gap. Il y avait peu de chance pour que ce soit vraiment sérieux, mais vu mes antécédents, autant ne prendre aucun risque.

Je crois me souvenir que c'était un week-end. Ils ont pu me faire un scanner, qui montra qu'il n'y avait rien d'autre qu'un oedème. Je suis resté en observation jusqu'à lundi, puis je suis retourné en cours.

Le neurologue qui me suivait m'a prescrit un court traitement à la cortisone, pour faire diminuer l'oedème. Il n'y avait rien d'autre à faire, en attendant qu'il régresse naturellement. Sinon, c'était le traitement continu à la cortisone, qui aurait plus d'inconvénients que d'avantages.

Par la suite, les sensations de fourmillement ont continué, et ma sensibilité a baissé. Je crois que c'est aussi à cette époque que ma proprioception (sentir dans quelle position sont mes membres) est devenue déficiente.

Malgré tout, j'ai passé l'écrit du bac de Français, avec un ordinateur et un tiers-temps pour compenser mon handicap.

Un jour, en sortant de la piscine, je me suis rendu compte que je n'arrivais plus à prononcer les mots de plus de trois syllabes. Et que je n'arrivais plus du tout à lire à haute voix. Imaginez la situation : cela ne m'était jamais arrivé. Les pompiers sont venus, l'hélicoptère a aterri sous l'oeil des voisins supris. Entretemps, ça allait un peu mieux. Mais il ne fallait prendre aucun risque.

A l'hopital, on me fit un scanner, et on me libéra assez vite. C'était (encore) l'oedème, qui avait fait une petite poussée dans la zone de la parole.

Et c'est ainsi que j'ai passé l'oral du bac de Français sous cortisone. Heureusement qu'il n'y a pas de contrôle anti-dopage...

Avec l'oedème, il y avait aussi ce fameux kyste. Mais lui, il ne posait pas problème : ce n'était qu'une poche d'eau, qui ne compressait rien autour de lui. Il était là, il pouvait rester, il pouvait régresser. Il y avait très peu de chance pour qu'il grossisse, et l'enlever serait plus compliqué qu'autre chose. Alors...

Quant au suivi de la Timone... Mon père s'est battu pour obtenir que mes scanners et IRM soient vus et commentés par l'équipe de la Gamma Knife. Qui ne fit que confirmer le traitement à la cortisone.

Mon cas est très particulier. Ainsi, le neurologue de Gap, aussi compétent qu'il soit, ne pouvait qu'émettre des suppositions. "La Gamma Knife, par ici, j'ai plus l'habitude pour des patients atteints de la maladies de Parkinson"... Mais il était disponible et attentif.

Un été à la mer (un vrai)

Après toutes ces aventures, les vacances vinrent. J'avais, avant, l'habitude de faire de la planche à voile, tous les étés. Et je voulus réessayer.

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La planche à voile (Août 2009)

Je crois que, plus qu'un sens de l'équilibre, j'ai acquis un grand sens du déséquilibre. Comment se rattraper dans les situations les plus compliquées possibles. Ainsi, oui, j'ai réussi à me redresser sur la planche, à lever la voile, et à avancer. La posture n'était pas des meilleures, mais c'était déjà bien. Enfin bon, le virement de bord, je n'y arrivais pas encore.

Je continuais toutes les autres activités que je faisais, faisant des progrès, lentement, mais sûrement. Je retrouvais les endroits que j'avais toujours connus, où je passais, plus à l'aise que l'année d'avant. Boîtant, mais debout.

Le programme de l'été était à peu près le même depuis plusieurs années. Un séjour à la mer, un court séjour à Paris, un séjour à la montagne - avec, au milieu, un stage linguistique pour moi -, et à nouveau de la mer, pour finir. Cette année-là, je pus reprendre le programme habituel, à part pour le stage linguistique. Ca fait du bien, le retour à la routine.

Quant aux sensations étranges, on s'y fait...

Pendant mon été de rééducation, tous les soirs, j'avais tenu un carnet, où j'apprenais à écrire main gauche, et tentait d'écrire mon prénom main droite. Pendant l'été 2009, je décidai de faire l'inverse : pour me rééduquer, j'écrivis quelques lignes chaques soir. C'était assez laborieux : à peu près 2min30 par ligne.

En ergo, je faisais des activités assez variées. Je ne sais plus si c'était en 2009 ou en 2010, mais j'ai fait de la menuiserie - construction d'un tam-gram -, de la wii - que j'avais obtenue de mes parents -, du mécano, des tartes aux pommes...

Et la kiné, à la mer, je la faisais sur la la plage. Les maîtres nageurs avaient pris l'habitude de me voir, un matin sur deux, à côté du poste de secours.

Mes parents lisaient tout ce qu'ils trouvaient sur la plasticité cérébrale, et la rééducation neurologique. Ils envisageaient m'envoyer dans un centre spécialisé en Alabama... Mais j'étais pas très enthousiaste.

Puis vint la rentrée.

La terminale

Pour l'aménagement des cours, et des épreuves du bac, j'avais depuis la première un PPS (projet personnel de scolarisation). Ce PPS dépend de la MDPH (maison des personnes handicapées), départementale.

Avant l'été, mon père avait fait la demande pour une carte "station debout pénible", pour m'éviter de subir les queues, à Paris. Il s'était vu refuser la carte. Et à la rentrée, le PPS fut refusé : "moins de 50% d'incapacité, il doit passer en PAI, géré par l'établissement".

What ?

"A ben oui, il fait du ski, il a assez récupéré." Hum... En effet, le ski était mentionné dans un rapport du neurologue.

Après plusieurs discussions à la MDPH, mon père réussit à leur faire admettre que je pouvais faire de l'exercice pour ma rééducation, sans avoir pour autant tout récupéré, en particulier sur la main. Et ils acceptèrent le PPS.

 

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Le ski (Janvier 2010)

J'avais passé tout mon année de première à prendre les cours à l'ordinateur, main gauche. Je décidai qu'en terminale, comme mon écriture était plus rapide, je prendrais les matières littéraires à la main - il n'y avait pas grand chose à écrire. Et que je garderais l'ordinateur pour les devoirs, et les matières scientifiques.

L'année passa. Les sensations étranges diminuaient, les angoisses aussi. L'IRM de l'hiver montra que l'oedème avait bien régressé, que le kyste avait un peu diminué. Et que l'angiome était moins gros. Bonnes nouvelles.

Mes progrès avaient repris, surtout pour ce qui est de la mobilité. Je boîtait toujours, mais moins. Et dans les autres sports, je progressais bien.

En ski, j'arrivais progressivement à mettre plus de poids sur la jambe droite, et à aller plus vite - sans trop tomber. Je profitais des heures de sport - dont j'étais dispensé - pour aller sur les pistes, le mardi.

Les sports proposés par le lycée étaient vraiment inadaptés à mon cas. Et l'heure de "sport adapté", en plein milieu de ma journée la plus chargée. Et faire du ping pong avec les "vrais" sportifs en béquilles, ça avait peu d'intérêt.

Le bac

Vinrent les premières épreuves du bac. On s'aperçut à temps que les mesures me concernant prévoyaient un "aménagement des épreuves pratiques". Alors qu'on avait toujours parlé d'une dispense. Ce fut corrigé à temps, heureusement.

Dans le même genre, il avait toujours été question que j'aie les sujets numérisés. C'était surtout important pour l'Histoire-Géographie, s'il y avait un croquis à faire. Surtout que je m'était entraîné toute l'année. Et puis, quelques jours avant les épreuves, on apprit que non, il n'y aurait pas de sujet numérisé...

En catastrophe, je m'entraînai à faire des croquis à la main. Et une prof me prêta un scanner, à tout hasard. La solution "théorique", inscrite dans les textes, était que je fasse une "mini-composition" d'une page, résumant le croquis... Plus embêtant qu'autre chose.

Quand le sujet tomba, soulagement : épreuve longue de géographie, il n'y aurait pas de croquis. Mais c'était passé fin.

Les autres épreuves se passèrent normalement. J'avais mon ordinateur, une palette graphique pour les schémas, et une imprimante pour me relire. J'utilisais assez peu du tiers-temps qui m'était donné.

Mention très bien.

Et l'été arriva.

Le deuxième été

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Catamaran (Juillet 2010)

L'été 2010 suivit le même programme que l'été 2009. Mer, Paris, montagne, mer.

Je repris l'habitude de faire mon écriture du soir : les notes étaient plus longues, plus lisibles. Et j'arrivais à écrire plus vite - moins de 2 minutes par ligne.

Je refis un peu de planche à voile. J'étais plus stable, mais je n'arrivai toujours pas à virer de bord.

Je fis aussi un stage de catamaran, où je m'amusai bien. Il n'y avait pas beaucoup de vent, mais c'était sympa. Je n'utilisais pas encore beaucoup ma main droite.

L'été passa.

A nous, Paris !

Depuis longtemps, je me destinais aux classes préparatoires aux grandes écoles. La plus proche était celle du lycée Thiers, à Marseille. L'inconvénient était qu'il n'y avait pas d'internat. L'avantage, que La Timone était à Marseille. Pourtant, les prépas parisiennes "de prestige" me tentaient, et il y avait un internat. Mais c'était loin.

Au cours de ma Terminale, la question se posa. Puis, avec l'IRM de l'hiver, qui montra que mes risques de saignement avaient diminué, et que l'oedème aussi, Paris redevenait une option possible. Surtout que le suivi à La Timone était un peu léger, au fond...

J'appris en juin que j'étais reçu à mon premier choix, en internat. J'allais donc partir à Paris.

Avant mon départ, la MDPH me renouvella le PPS et la carte de priorité pour deux ans. Et transférèrent mon dossier à Paris.

Au lycée, j'eus droit à une "grande" chambre, normalement réservée aux deuxièmes années. Les "petites" avaient un lit en mezzanine, qu'il m'aurait été compliqué d'utiliser - ne parlons pas de mettre les draps.

L'année commença, j'expliquai mes problèmes à mes professeurs et camarades.

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Devant le lycée...

Je me rendis vite compte que le rythme était beaucoup trop intense pour que je puisse prendre mes cours de mathématiques à l'ordinateur - les raccourcis claviers pour les formules étaient trop compliqués. Heureusement, j'écrivais plus vite : je devais rattraper quelques parties de cours, parfois, sans plus. Pour la physique, le cours était distribué sur polycopié. Et les autres matières, moins importantes, je les prenais à la main.

Pour les devoirs, qui étaient le samedi matin (de 4h), j'eus assez vite droit à un tiers-temps - et un panier repas, car la cantine fermait à 12h20. J'en faisais certains à l'ordinateur, d'autres à la main. Sauf pour la physique, où les schémas se révélèrent bien trop compliqués à faire à l'ordinateur.

J'avais toujours de la rééducation : kiné deux fois par semaine, ergo une fois. Pour l'ergothérapie, de manière assez injustifiée, la MDPH refusa le remboursement... Ce fut la mutuelle de ma mère qui accepta d'en prendre une partie.

Quant au sport, j'allais à la piscine tous les vendredis, et je faisais du tai-chi dans le jardin du Luxembourg le dimanche (une idée de ma mère). Des fois, avant les cours de l'après-midi, je faisais un peu de volley dans la cours avec de camarades de classes. C'était déjà pas mal, comme sport, pour un prépa.

Il est vrai, ma rééducation a un peu ralenti cette année. Cela dit, ma main s'ouvre mieux. Et la jambe a beaucoup progressé. Au printemps, je faisais parfois de longues balades dans Paris, le dimanche, qui ont bien amélioré ma marche. Et je trouvais des moments pour jouer de la guitare, ou dessiner, pour faire bouger ma main.

Aux vacances d'hiver, je repris le ski, chez moi. Maintenant, j'arrive à skier presque normalement. Certains trouvent que je skie même mieux qu'avant, car je dérape moins : je ne peux que dans un sens !

L'année se passa bien. Je m'en sortais plutôt (très) bien, et j'arrivais à me garder du temps libre, pour me détendre l'esprit.

Vacances

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Le golf (Août 2011)

Après cette année de travail acharné, vinrent les vacances. Toujours le même programme, sans passage à Paris (j'y vis).

L'écriture du soir est devenu l'écriture d'une histoire, pour arrêter les récits inutiles de ce que je faisais dans la journée. J'ai fait plusieurs stages de catamaran, où il y a eu parfois beaucoup de vent. J'arrive maintenant à barrer de la main droite, voire à tenir un cordage. J'ai même réussi à me faire une entorse au pied droit, qui m'a obligé à garder une atelle quelques semaines...

J'ai aussi fait un peu de planche à voile, où, cette année, j'ai réussi à faire un virement de bord !

Et j'ai passé deux semaines en Angleterre, pour perfectionner mon Anglais, et mon golf.

Avenir...

L'année qui vient s'annonce difficile. Je devrais avoir des aménagements pour les concours. La seule difficulté : l'Ecole Polytechnique ne permet pas le recours au tiers-temps ou à l'ordinateur. Comme maintenant, le concours est commun avec l'ENS (qui permet les aménagements), ça pose un petit problème logistique...

 

Maintenant, je suis presque autonome. Je continue à boîter un peu, et à ne pas me servir trop de ma main droite, mais j'ai trouvé les compensations qui me permettent de vivre une vie presque normale.

J'étais un adolescent à qui l'on a coupé les ailes. Au moment où je prenais mon envol, où je me sentais libre et prêt à être autonome, j'ai fini en fauteuil. Mais la vie continue, plus forte que tout, et le temps efface mon handicap. Il ne me reste plus qu'à aller de l'avant, pour toujours progresser.

Dans ma chambre, au centre de rééducation, je faisais un rêve. Dans un univers urbain, au milieu de nombreuses personnes, pressées et floues, je gravissais les escaliers menant à une place surélevée, au soleil couchant. Sans boîter.

Chaque jour me rapproche de ce rêve.

Août 2011

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