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Futur, présent, passé

Dix ans. Il y a dix ans précisément, un beau soir de juin, alors que les commémorations des 40 ans de mai 68 touchaient à leur fin, mon côté droit s'est mis en grève. Et depuis, même s'il a beaucoup progressé, il n'a toujours pas repris totalement le travail.

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Là-haut par chez moi (2017)

Mais reprenons. Les derniers mots écrits sur ce site datent de 2011. Depuis, régulièrement, j'ai voulu le mettre à jour, parler de ma vie sur le long terme. Mais je ne trouvais pas les mots. Pas la motivation. Jusqu'à maintenant.

Que dire, donc ? L'histoire de mon handicap s'efface peu à peu pour devenir juste celle de ma vie, avec ses hauts, ses bas. Je n'ai pas envie de faire de ce site mes mémoires, juste de témoigner de ce que peut être une vie en ayant fait une hémorragie cérébrale à 14 ans. Alors j'essaierai ici autant que possible d'isoler les aspects de mon évolution qui sont liés à mon hémiparésie droite.

Dans l'ensemble, je pense pouvoir dire que j'ai eu beaucoup de chance dans mon malheur. Je ne récupèrerai jamais totalement ma motricité droite, j'ai fini par m'y faire, mais cela ne m'empêche pas de faire un grand nombre d'activités, et de vivre globalement la vie que je veux.

Études et cursus

Prépa

2011-2012, deuxième année de prépa. Le rythme s'intensifie, jusqu'aux concours. J'écris toujours de la main gauche plus lentement qu'un autre candidat : je bénéficie donc d'un tiers-temps pour les épreuves écrites, et d'un ordinateur pour les épreuves littéraires.

Je n'ai pas le droit de passer l'X : c'est une école "militaire", elle refuse les aménagements d'épreuves. J'aurais pu tenter sans, et il était envisageable que j'arrive à avoir une note suffisante au sport (en m'entraînant vraiment à la natation), mais je n'étais pas sûr d'être accepté à la visite médicale, et l'absence de tiers-temps m'aurait pénalisé pour les épreuves écrites communes à d'autres écoles. Tant pis, ce n'est pas l'école que je vise.

Pour X-ENS, je suis tout seul dans la salle de tiers-temps du lycée Thiers, avec deux surveillants (et deux chauffages d'appoint pour la grande salle où il fait froid). La situation est assez amusante − jusqu'au moment où ma pièce devient salle de repos des autres surveillants, qui viennent discuter dans le fond... Pour les autres concours, il y a d'autres candidats bénéficiant d'un temps supplémentaire, je me sens moins seul.

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Aménagements d'épreuve

Je n'ai pas d'aménagement pour les oraux. Ou plutôt, j'ai le droit de les faire sur feuille au lieu du tableau, mais je suis plus à l'aise debout. Je rate complètement mon tout premier oral de maths, mais me reprends pour les suivants. Et finalement, je suis admis à l'école que j'espérais. Joie.

École

La rentrée vient, avec une nouvelle vie qui commence. Je ne suis pas trop dépaysé, puisque je reste sur la montagne Sainte-Geneviève. Je ne le sais pas encore, mais je passerai les 6 ans à venir entre les murs de cette école (et normalement au moins 3 de plus).

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Nouveau cadre de vie

Comparé au rythme de la prépa, la quantité de travail demandée est bien plus légère. Au niveau des cours, je n'ai aucun problème pour suivre : la plupart des professeurs fournissent des documents, et je prends des notes supplémentaires sur ordinateur (en informatique) ou papier (en maths). Pour les examens, j'ai encore droit à un tiers-temps. Ma situation n'est pas très courante ici, et les enjeux sont moindres que pour les concours : les modalités précises se négocient avec les professeurs et le secrétariat. Souvent, je rédige dans un bureau à part, pour ne pas être dérangé par les autres élèves qui quittent la salle, ou bien parce qu'un cours est prévu juste après. Quand ce n'est pas le cas, il m'arrive de chasser mes camarades, lorsqu'ils commencent à commenter à haute voix leurs réponses respectives, c'est un peu gênant. En avançant dans le cursus, les devoirs sur table font de plus en plus place à des projets en groupe ou des devoirs à la maison. Ce qui simplifie les procédures, mon handicap ne faisant aucune différence sur ce type d'évaluation.

Si je n'ai dans l'ensemble aucune difficulté à valider mes années, mon parcours étudiant n'est pas rectiligne, au gré de la recherche de ce qui me motive réellement. Je commence par une Licence 3 maths-info, puis un Master 1 d'informatique. Pour faire une pause et découvrir le monde de l'entreprise, je prends ensuite une année de césure, où je fais d'abord un stage, puis consacre 8 mois à me rééduquer plus intensément et à des projets personnels. Je reprends ensuite en Master 2 d'informatique/maths appliquées, pour enchaîner sur une nouvelle année de césure, cette fois destinée à voyager, trouver ma voie, et finalement faire un nouveau stage en laboratoire. Enfin, je termine ma scolarité sur une année pré-doctorale, et commence en septembre 2018 une thèse (toujours dans la même école).

Chacune de ces six années de scolarité se termine (ou se commence) par un stage, plus ou moins long, dans différentes structures : 2 mois en laboratoire à Rennes ; 4 mois en laboratoire à Pise ; 3 mois en entreprise dans la région de San Francisco ; 6 mois en startup à Paris ; 5 mois en laboratoire à Copenhague ; et 5 mois en laboratoire à Paris. Ce qui, outre la découverte de différentes villes et différentes cultures, me confrontera à des expériences particulières du point de vue de mon handicap.

Rééducation

Ma rééducation n'a pas cessé depuis mon accident, même si elle a été plus ou moins soutenue selon les périodes. J'ai principalement continué la kinésithérapie, à raison de 2 séances par semaine. Si je faisais une encoche à ma carte vitale pour chaque nouveau thérapeute qui s'occupe de moi, j'aurais probablement déjà couvert tout un côté : même en restant au même cabinet pendant 5 ans, j'ai eu 5 soignants différents, sans compter les remplaçants.

Je continue l'ergothérapie (avec un ergothérapeute libéral) jusqu'à ma 3e année d'école. Pour me faire du renforcement musculaire, je fais aussi appel à un coach sportif, qui me fait faire du tennis et des étirements à peu près une fois par semaine (de 2011 jusqu'à aujourd'hui).

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Escalade (2013)

Le suivi de ma rééducation est plus délicat pendant mes différents stages. À Rennes, je me vois opposer d'un médecin d'un centre de rééducation « 5 ans après, ça ne sert plus à rien ». À Pise, je trouve un kinésithérapeute qui parle Français, et qui me fait assez bien travailler, mais qui habite à l'autre bout de la ville − et ses tarifs sont à peu près le double de ce que rembourse la sécurité sociale française, je ne m'en rends compte qu'en rentrant... Aux États-Unis, je n'essaye même pas (je trouve une grille de tarifs à 50$ le quart d'heure), et m'astreins à faire des exercices tout seul. À Copenhague, on m'indique que je peux avoir des séances couvertes par la sécurité sociale danoise, mais il faut que je demande au médecin traitant qui m'a été désigné : je ne franchis jamais le stade « je ne comprends rien à son répondeur, je m'en occuperai plus tard », c'est un peu dommage.

En dehors de la kinésithérapie en libéral, je cherche aussi, pendant ma première année d'école, à reprendre un suivi plus poussé en hôpital de jour à la Pitié-Salpétrière. Malheureusement, en 2013, leur service de rééducation est en travaux, et ils ne peuvent pas m'accueillir. Plus tard, la médecin rééducateur est d'avis que l'hôpital du jour en continu m'apporterait peu (« Mais vous faites déjà tout seul plus que ce que nous pourrions vous faire faire ici ! »), et qu'il vaut mieux se concentrer sur des épisodes ponctuels mais intenses, pour éventuellement me redonner de bonnes habitudes.

À cette rééducation "de fond" s'ajoute, en 2014, un tel épisode intensif d'un mois et un travail plus long sur six mois. Je consacre cette année-là à des projets personnels et à travailler mon côté droit : je prends la décision de me forcer à beaucoup plus utiliser ma main droite dans la vie courante (contrainte induite sans contrainte physique). Je joue beaucoup de guitare, et renverse de la nourriture en mangeant à deux mains, pour finalement constater une petite amélioration dans le poignet, et dans l'extension des doigts − et dans mon oreille musicale, mais ce n'est pas le sujet. La partie intensive se déroule à la fondation Sainte-Marie : 3 demi-journées de prise en charge en hôpital de jour, avec kinésithérapie, ergothérapie, et coaching sportif. C'est plutôt utile pour reprendre des éléments particulier de ma marche, et faire du renforcement musculaire ciblé.

Hormis cette rééducation "officielle", je fais de nombreuses activités avec dans l'esprit l'idée de travailler mon côté droit. J'en parlerai plus en détail plus loin dans ce texte.

Santé, effets secondaires et formalités

En décembre 2012, je fais mes derniers examens à la Pitié : l'artériographie montre que je n'ai plus de malformation artério-veineuse, juste une cicatrice. C'est-à-dire que mon risque d'AVC est celui d'une personne normale. À moi la plongée, l'alcool, la cocaïne ! Enfin, peut-être pas le dernier, restons sage.

Par la suite, je n'ai plus eu particulièrement de sensations anormales, ou de passages à l'hôpital. À deux exceptions près.

En 2015, vers la fin de l'été, un soir, je remarque des fourmillements du côté droit. Je stresse un peu, mais mon réflexe pupillaire est normal, alors je m'endors. Quelques semaines plus tard, la sensation est encore là, parfois − mais n'avait-elle pas plutôt toujours été là, sans que j'y prête attention ? Sur conseil de mon médecin, je vais aux urgences AVC, voir s'il n'y a pas quelque chose de plus préoccupant. Je passe une journée à lire Saint-Exupéry et travailler dans une salle de réunion, en entendant au loin une visiteuse en larmes venue voir son mari... On me fait passer une IRM, qui ne montre rien d'anormal. On me prescrit un électroencéphalogramme (EEG), qui ne montre pas de trace d'épilepsie. Tout va bien.

Et puis au tout début 2018, je passe un mois extrêmement fatigué, sans raison. Pas de maladie, pas de carence, la cause reste un mystère. Sous le conseil d'un médecin, je finis par aller une nouvelle fois aux urgences : on m'y fait un scanner, qui ne montre rien non plus. Je finis par retrouver de l'énergie, et n'ai pas de problème particulier − juste ces fourmillements, que je remarque de temps à autre, mais qui n'ont sans doute jamais cessé.

Par ailleurs, en 2016, je commence les démarches pour "officialiser" mon handicap. Une assistante handicap, pendant mon M2, m'en avait parlé, en m'expliquant que cela pouvait être utile le jour où j'aurai fini mes études, pour obtenir des aménagements du lieu de travail, l'adaptation d'une voiture de fonction, ou le remboursement de certains frais. Je rassemble les pièces mais traîne pour les porter, jusqu'à ce que le certificat médical ne soit plus valide. Je dois en refaire un, et porte le dossier à la MDPH : il manque un document au dossier, mais ils acceptent l'envoi par mail. Finalement, je termine les démarches à distance, et reçois l'avis de reconnaissance à l'été 2017. C'est bon, je suis un handicapé certifié. C'est mieux.

Déplacements et transports

S'il y a un domaine dans lequel j'ai le plus fait de progrès en 7 ans, c'est sans doute celui des déplacements.

Transports en commun

Pendant mes premières années à Paris, je vis en internat, et me déplace donc essentiellement à pied. Au fil du temps, j'ai de plus en plus de cours à l'université, ou sur d'autres campus : je prends donc les transports en commun, qui ne me posent pas particulièrement de problèmes.

Si se déplacer ainsi est facile à Paris, ce n'est pas forcément le cas aux autres endroits où je vais faire mes stages. À Rennes, le réseau de bus est correct : même pendant l'été, où ils sont moins fréquents, je ne suis pas trop isolé du centre − qui est à 30 minutes à pied de ma résidence. À Pise, les bus ont des horaires approximatifs, et je marche beaucoup − 20 minutes pour aller à mon travail, 20 minutes pour rentrer du centre-ville. Par contre, en Californie, les choses se compliquent : de mon logement, je ne peux que rejoindre mon travail avec des navettes de l'entreprise, ou bien prendre le train pour San Francisco ; les distances sont trop grandes pour être parcourues facilement à pied. Et à Copenhague, le réseau est solide, mais je vis en banlieue, la desserte de bus est moins fréquente.

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La neige, c'est froid (2015)

Vélo des bois

C'est pendant mon séjour à Pise que je me mets à vouloir reprendre le vélo. Là-bas, tout s'y prête : la ville est plate, la circulation automobile dans le centre est très limitée... Malheureusement, je n'ai pas l'entraînement pour. Mais en rentrant de stage, je décide de m'y remettre.

Mes parents trouvent sur internet des "petites roues pour adultes", avec amortisseurs, qui me permettent pendant les vacances de reprendre l'habitude de pédaler, et de retrouver les sensations. À la fin de l'été, je tente sans. Pendant une demi-heure, j'essaie de démarrer, sans succès. Dès que je lève le pied gauche pour le mettre sur la pédale, je me sens perdre l'équilibre, et la repose à terre. Et puis, alors que je vais abandonner, je réussi à tenir l'équilibre sur plus d'un tour de pédalier. Une fois lancé, l'inertie assure la stabilité, et c'est beaucoup plus simple. Victoire !

Las, ce n'est pas encore gagné. Le démarrage reste extrêmement fastidieux, et à chaque fois que je retente d'en faire pendant mon stage aux États-Unis, il me faut beaucoup d'essais pour arriver à me lancer. C'est donc loin d'être idéal.

Durant ma "phase de rééducation" début 2015, je cherche alors à fiabiliser mon départ et ma stabilité à vélo. Pour m'entraîner, je vais au Bois de Vincennes, louer un vélo à la journée. Harnaché de protections de roller aux coudes et aux genoux, d'un casque et de gants de vélos − qui ne me serviront jamais, mais sait-on jamais −, j'arpente tous les chemins du bois, jusqu'à être plus à l'aise. Pendant l'été, je m'aventure de plus en plus dans la ville de Vincennes, où la circulation reste raisonnable. Ce qui me cause quelques frayeurs, mais m'habitue à la conduite en ville.

Je dois faire attention à freiner doucement : je ne suis réactif que sur la main gauche, qui contrôle le frein avant, et je risque donc de déraper ou de faire un tête-à-queue. En pratique, tant que le relief est assez plat, le danger est faible ; et sur les grandes descentes, je peux freiner en continu de la main droite, pour limiter ma vitesse. Les problèmes que je rencontre sont en génésur les arrêts viennent plutôt d'une perte d'équilibre à l'arrêt, ce qui cause quelques chutes sans gravité au début. Lorsque je chute, ce n'est jamais dans les situations vraiment dangereuses : c'est en général à l'arrêt, quand je ne contrôle pas bien mon équilibre et le fait de poser sur le bon pied. Rien de grave, heureusement.

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C'est l'aventure ! à VTT (2016)

Permis de conduire

En parallèle, je m'occupe des démarches pour le permis de conduire (entamées à la fondation Sainte-Marie). J'apporte des tests de champ de vision, un électroencéphalogramme, et un rapport du médecin rééducateur de la fondation Sainte-Marie à un médecin spécialisé pas très aimable. Dans son bureau exigu où des piles de dossiers s'entassent jusqu'au plafond, elle me signe l'attestation que je peux porter à l'auto-école. Là, je passe le code, puis apprends à conduire sur une voiture adaptée. Il faut que je puisse tout contrôler sans main ni pied droits : j'ai donc besoin d'une boîte automatique, de pédales inversées, d'une boule au volant, et d'une télécommande sur la boule. C'est là que je prends mesure du "coût" de mon handicap : le forfait de l'auto-école est plus cher, et l'adaptation de la voiture (si j'en ai une un jour) coûtera également très cher (particulièrement la télécommande). J'avais conscience des frais déjà engagés, tant en rééducation qu'en soins (très majoritairement couverts par la sécurité sociale), mais c'est la première fois que je me retrouve à devoir directement payer plus cher pour quelque chose auquel tout le monde a accès, et cela me laisse une impression étrange.

Après 50 heures de conduite (d'abord avec un moniteur qui ne me convient pas, puis avec un autre, bien plus carré, qui me fait reprendre les bases), je passe l'examen début octobre 2015. J'ai de la chance : mon examinateur est cordial et curieux (« — Et du coup, comment marche la télécommande ? — Eh bien, ça c'est les clignotants, ça c'est le klaxon, ça c'est les phares... — Dites donc, vous connaissez bien tout ça ! — Euh... il vaut mieux quand même... »). J'obtiens mon permis du premier coup. Hourra !

Malheureusement, le seul loueur de voiture adaptée que j'ai trouvé en France est à Nîmes, et je n'ai toujours pas reconduit depuis. Aux États-Unis, par contre, tous les loueurs s'engagent à fournir une voiture dans les 3 jours − 8h près des grands aéroports. Peut-être que j'en profiterai un jour...

Vélo des villes

Au printemps 2016, je commence un stage dans Paris. Pour m'y rendre, j'ai trois possibilités : 25 minutes de marche ; 15 minutes avec un bus qui passe toutes les 15 minutes ; ou 10 minutes de vélo. Le trajet est relativement peu fréquenté, alors je tente le Vélib. Cette fois, c'est bon : je maîtrise le démarrage et la conduite en ville, et j'ai moins peur des voitures (puisque je sais mieux ce qu'elles sont censées faire, grâce au permis). Le Vélib est lourd, c'est un avantage : quand je perds la pédale droite, il est assez stable pour que je puisse la remettre sans dévier. Le seul "problème" est mon pied droit qui glisse vers l'avant, amenant le tibia droit à cogner contre l'attache du vélo : je dois mettre un protège-tibia pour ne pas me blesser (qui sera vite rendu superflu par l'amélioration du contrôle de ma jambe).

Du simple trajet domicile-travail, je m'aventure peu à peu dans des lieux plus animés. À la faveur de l'été et de la réduction de la circulation, je me retrouve même place de la Bastille, ou de la Concorde − en n'ayant pas vu le tracé vélo sécurisé, oups. Tout se passe bien, et je prends de l'aisance, même si je reste toujours prudent (jamais sans casque, ou quand je ne suis pas tout-à-fait sobre, ou quand la route est glissante).

À la fin 2016, le vélo est mon moyen de transport préféré, et quand je visite des villes étrangères, je profite souvent des services de vélo partagé pour explorer la métropole.

Quand je pars au Danemark, dès la première semaine de mon séjour, j'achète une bicyclette : je choisis un modèle "femme" (plus facile à enjamber), lourd mais stable, et en fais inverser les freins (pour que le frein gauche contrôle la roue arrière, c'est plus sécurisé). Cela me sera très utile pendant les cinq mois que j'y passe, pour aller faire les courses ou visiter la région − c'est pratique, c'est plat. La ville est complètement aménagée pour ce moyen de transport : toutes les routes ont une chaussée séparée pour vélos (des deux côtés), et l'équivalent des RER propose des wagons spécifiques pour les transporter gratuitement.

De retour à Paris, en 2017-2018, avec le changement d'opérateur de Vélib, je ne peux plus le prendre autant. Devant les nombreux problèmes que je rencontre, je finis par m'acheter mon propre vélo en juin 2018.

Activités

La fin de la prépa m'a permis de retrouver du temps libre hors des cours, que je peux consacrer à de nombreuses activités. Bien souvent, dans les raisons qui me poussent à rejoindre un club (en particulier de sport), il y a l'idée de me rééduquer, ou de lutter contre mon handicap.

Sports

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Quidditch ! (2018)

L'avantage de mon école, c'est que j'ai accès à un nombre important d'activités. Je peux ainsi m'essayer à un sport, pendant quelques mois, avec des amis qui me connaissent et qui peuvent m'aider ou adapter les choses. C'est de cette manière que je m'essaie à la lutte et l'escrime ancienne en 2015, ou à l'escalade en 2016. Je ne m'en sors pas trop mal, et parviens à progresser dans ces pratiques, mais elles restent particulièrement difficiles, et je finis par les abandonner au bénéfice d'autres activités.

Je consacre plus de temps à la pratique du quidditch (moldu) : un balai entre les jambes, tout le monde est un peu handicapé, je suis donc sensiblement plus à égalité avec les autres joueurs. Si je découvre le principe aux rencontres sportives inter-écoles dès ma première année, il n'y a pas d'équipe réelle dans laquelle pratiquer. C'est lors de mon stage aux États-Unis que je rejoins un club un peu plus sérieux, dans lequel j'apprends les subtilités du jeu. De retour en France, j'essaie de lancer un club avec d'autres, qui vivote un peu, puis dépérit un an plus tard. C'est dommage.

Plus classiquement, j'essaie d'aller régulièrement à la piscine − plus ou moins sérieusement selon les saisons. Et pendant les vacances, quand je rentre chez mes parents, je retrouve les joies du ski, ou de la voile − mais pas du golf, qui en réalité m'ennuie un peu. J'en fais aussi avec mon école pendant les premières années : je participe à des régates sur la Seine, ou à la semaine au ski 2013. Mais j'ai du mal à skier dans les grandes stations où la neige est trop malmenée, et le club voile ne fonctionne pas bien, ce qui fait que ces expériences ne vont pas plus loin.

Voyages et marche

Je mets un certain temps à oser voyager : j'ai peur de me retrouver dans des situations compliquées, dans lesquelles mon handicap compliqueraient la résolution des problèmes. Par exemple, je ne peux pas dormir dans le lit haut d'un lit superposé, parce que j'ai du mal à grimper une échelle. Mais à force de bonnes expériences dans des cadres assez contrôlés, et avec l'amélioration de mon autonomie, je finis par oser partir seul plusieurs jours à partir de 2016 − il suffit de demander à l'avance à avoir un lit bas, et tout se passe généralement bien !

S'il y a un sport que j'aime pratiquer, c'est la randonnée : je boîte et je marche plus lentement qu'une personne de mon âge, mais ça ne m'empêche pas d'avoir un entraînement physique correct, une bonne endurance, et d'apprécier les paysages de grand air. Outre des balades avec mes parents, la première longue randonnée que je fais est en Californie : avec un groupe de mon entreprise, je me retrouve sur une boucle d'une quinzaine de kilomètres, avec un peu de dénivelée. Cette expérience me rend plus confiant sur ce type de situation, et je prends goût à partir randonner sur des chemins plus ou moins fréquentés, seul ou avec des amis.

Je ne suis pas très extrême, et quand je teste mes limites, c'est par petites étapes, en prenant garde à toujours avoir un point de chute en cas de problème. Mais quand je m'en sens capable, je tente. C'est ainsi que je me retrouve un jour à un "week-end aventure" avec mon école, à faire du kayak et du VTT dans la boue (3 mois après avoir repris vraiment le vélo). Ou que je pars une semaine seul en Slovénie, à visiter et randonner le pays. Ou que je passe 2 semaines à explorer la Bretagne en stop et couchsurfing. Ou que je disparais quatre jours pour parcourir 70 km du GR autour de Cherbourg, en dormant dans une tente.

Mon seul problème lors des longues marches reste mes appuis : je reste très lent sur les terrains instables (sable, galets...), et mon pied droit se couvre assez vite d'ampoules. Mais avec le temps, ma démarche s'améliore, et je finis par avoir assez de corne pour me protéger. Je sais aussi mieux enrober mes pieds à l'avance pour éviter les problèmes, ce qui me permet d'enchaîner plusieurs jours de marche sans teindre mes chaussettes en rouge sang. Je préfère.

Expression corporelle et artistique

J'ai beau effacer les limites que pourrait poser mon handicap sur l'étendue des horizons que je pourrai atteindre, je conserve d'assez grandes difficultés en expression corporelle. En particulier, je suis mal à l'aise pour danser socialement. Dans les soirées étudiantes, je me sens vite pataud, désarticulé − avec ou sans alcool. En première année, j'essaie d'apprendre le rock, puis abandonne. Je m'y remets plus sérieusement, poussé par une amie, en 2015. Je ne m'en sors pas si mal, ce qui me permet d'être plus confiant de ce côté-là, même si les soirées trop densément peuplées me restent inconfortables.

À côté de cela, je m'épanouis dans les différentes activités artistiques : arts plastiques, dessin, affiches, chant, musique... Si certaines ont au début une visée de rééducation, notamment le dessin, je privilégie progressivement la qualité du rendu au travail de la main droite. C'est un peu dommage, mais l'utiliser me demande tellement d'énergie pour un résultat si peu convaincant, que je ne trouve plus le temps et le courage de l'utiliser vraiment. Elle ne sert plus que d'appoint dans les tâches où il me faut deux mains.

Notamment, la cuisine se révèle être une tâche assez complexe : impossible de couper proprement des légumes en rondelles, ou de tenir fixement une râpe. Je ne peux pas non plus manipuler les ustensiles chauds avec ma main droite, de peur d'un faux mouvement ou de les lâcher. Dans la plupart des cas, je trouve une manière de compenser, et de faire quelque chose de correct, mais cela reste lent et compliqué. Heureusement qu'il y a la cantine pour que je ne mange pas que des pâtes ! Enfin, ce domaine me permet de travailler en coopération des deux mains, c'est toujours bénéfique.

Conclusion

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Normandie (mai 2018)

Bref, 10 ans après, quoi ?

Ma jambe droite a beaucoup récupéré : je boîte toujours, mais ça n'est pas trop visible quand je suis en forme et peu chargé. Beaucoup de gens ne remarquent pas, ou pensent que je me suis foulé la cheville.

Mon bras droit ne m'est pas très très utile, même s'il sert dans les tâches de la vie quotidienne où il faut deux mains. Seules les personnes qui me serrent la main prenne conscience que j'ai un problème sur le haut du corps, et encore. Le bras a toujours tendance à avoir une position en aile de canard, surtout en situation de stress, c'est un peu bizarre.

Mon handicap passe donc relativement inaperçu, ce qui est pratique par certains côtés − je n'ai pas de traitement différencié, j'évite la curiosité malsaine −, moins par d'autres − j'ai quelquefois du mal à le faire reconnaître, et la légitimité de mes aménagements est parfois questionnée. Pour répondre aux curieux, j'ai tendance à évacuer tout ça d'un « c'est normal, c'est comme ça, je boîte, non je ne me suis pas fait mal ». Et à rentrer plus ou moins dans les détails, selon mon humeur et la personne en face.

Je n'ai pas de douleurs particulières, parfois de l'inconfort à l'épaule. Je peux faire plein d'activités, à force de vouloir d'une certaine manière prouver que je ne suis pas que handicapé, et tester mes limites. Et je sais que je peux trouver un moyen d'en pratiquer bien d'autres, avec suffisamment de détermination, et en adaptant un peu.

Le monde ne me paraît plus autant hors d'atteinte qu'il y a quelques années, je me sens libre de l'explorer, et mon handicap me pèse moins.

Et je finis peut-être par avoir fait la paix avec mon corps. À trouver ma manière d'être. De danser. De vivre.

Juin 2018

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